Nous en parlions
depuis un certain temps. Au moins les plus anciens d’entre nous qui avions
côtoyé sur les bancs de l’école primaire ou du collège des enfants de
l’assistance publique et qui avions entendu parler de ces nourrices
morvandelles qui accueillaient des nourrissons ou qui « montaient » à
Paris allaiter des bébés de familles fortunées. C’est fait, nous avons visité
le musée des nourrices et des enfants de l’Assistance à Alligny en Morvan.
Nous avons d’abord
effectué un circuit d’environ 11 km au départ du hameau de Fétigny.
Nous étions
prévenus : il fallait éviter le bourg d’Alligny à cause d’un vide-grenier
qui occupait le centre du village. Nous avions convenu d’un point de ralliement
peu avant cette commune avec un ami de Jacques, Jean-Claude, qui habite
Gouloux.
A Fétigny, nous
trouvons difficilement un emplacement permettant de garer nos véhicules. Nous
voici chaussés, sacs sur le dos, prêts à partir… mais dans quelle
direction ? Nous devons suivre le GR de pays. Nous y sommes. Mais après 480
mètres, les doutes de Daniel se transforment en certitudes. Il n’a jamais pris
ce parcours lors de la reconnaissance. Demi-tour. Autre sentier balisé en jaune
et rouge. C’est le bon. Le guide retrouve des indices qui le rassurent. Nous avions
d’abord suivi une variante qui nous aurait amenés directement à Saulieu ! Ce
sera la seule hésitation sur le circuit parfaitement balisé. Le parcours
alterne montées et descentes, forêts et prairies, conifères et feuillus.
La
pluie qui est tombée abondamment ces jours derniers a grossi les ruisseaux qui
coupent le sentier mais des pierres judicieusement placées empêchent les bains
de pied.
Quelques débrouillards évitent une courte descente abrupte signalée
comme dangereuse en se frayant un passage à travers des branchages. Les autres
passent l’obstacle avec succès. Nous quittons le GR de Pays pour prendre sur la
droite, après une imposante pile de bois qui doit servir de repère, un sentier
non balisé.
La pile a disparu mais elle a laissé au sol son empreinte. Un
concert d’aboiements nous met sur nos gardes avant le hameau des Guttes Bonin.
Un chien campe au milieu de la route puis s’écarte pour défendre l’entrée d’une
parcelle occupée par une meute de chiens à sangliers, heureusement attachés ou
parqués voire installés à l’intérieur de la maison. Nous sommes à mi-parcours
et nous en avons fini avec les côtes. Nous plongeons sur le domaine de la
Chaux. Les hautes herbes ayant incité Daniel à exiger le port du pantalon pour
les marcheurs ont été coupées.
Les pivoines qui avaient tant séduit par leur
beauté et leur parfum lors de la reconnaissance ont souffert de la pluie. Deux
préaux auraient pu nous accueillir pour le pique-nique s’ils n’avaient pas été
occupés par une noce. Heureusement, il ne pleut pas. Il fait cependant
frisquet. A 500m, nous trouvons un endroit sympathique pour déjeuner. On nous
prévient « baignade interdite » mais qui aurait l’idée de se
mettre à l’eau par une température d’environ 13°. Le repas est vite expédié et
personne n’évoque l’idée d’une petite sieste. Il reste 3 km. De retour aux
voitures, nous troquons nos chaussures de marche pour d’autres plus légères et
sèches et nous descendons sur Alligny pour la partie culturelle de la journée.
Contrairement à ce
qu’on nous avait dit, nous n’avons aucune peine à trouver des emplacements libres
pour les voitures.
Le musée retrace
un épisode de l’histoire du peuple morvandeau lors des deux derniers siècles.
Faute de terres riches et de denrées à exporter en dehors du bois, ce sont les humains
qui offrent leurs services , les hommes comme galvachers, guidant leurs
attelages de bœufs jusqu’aux plaines prospères et les jeunes femmes comme « nourrices
sur lieu », en général à Paris ou sur place pour alimenter et élever des
enfants abandonnés.
C’est le sort de
ces femmes, de leurs enfants ou de ceux qu’elles avaient en charge que retrace
ce musée.
Notre groupe a été
vivement intéressé, ému et troublé par les destinées des enfants de
l’Assistance placés dans le Morvan, des familles qui les ont accueillis et des
femmes parties « nourrices sur lieu ».
Le problème de ces
enfants abandonnés et de leurs mères a été traité par différentes lois où
transparaissent selon les époques et les gouvernements en place des intentions
morales, sociales, même économiques lorsque la forte mortalité infantile des nouveau-nés
délaissés compromettait la croissance démographique au moment de l’essor
industriel.
Quels déclics
poussaient une jeune mère à postuler à un poste de nourrice sur lieu ? Une
trop grande misère, la perspective d’une ascension sociale, l’appât de gains
intéressants, des récits faisant la part belle à une vie améliorée ?
Comment la
décision était-elle prise ? Quel était le sentiment du mari ou de la
famille ? Surtout combien pesait l’avenir de l’enfant privé du sein
maternel quand on sait que les chances de survie étaient fortement compromises ?
Comment se vivait la part d’affectivité entre le bébé bourgeois choyé et son
propre enfant si loin et quel serait le contrecoup au retour ? On ne peut
éviter de repenser par certains aspects au remarquable roman de Leila Slimani :
chanson douce.
On peut s’interroger
sur le sort des « petits Paris » élevés en Morvan et destinés souvent
à faire vivre un grand nombre de familles. Si quelques-uns étaient choyés comme
les propres enfants du couple, d’autres étaient ni plus ni moins que des
domestiques subissant de la ségrégation par rapport aux enfants de la maison.
La prise de conscience de leur condition au moment de l’adolescence ou même
plus tôt pouvait entraîner de la violence (voir l’exemple de l’écrivain Jean
Genet) ou de la résignation. L’école était un autre révélateur de leur différence
en particulier avec le port des vêtements extraits du trousseau commun à tous
et des « camarades » de classe souvent conditionnés par les propos de
leurs parents leur faisaient subir des brimades. Des témoignages d’anciens
enfants de l’assistance rappelaient que l’instituteur ou leur directeur régional
n’étaient pas toujours tendres avec eux. Cependant, en Morvan, de nombreuses
familles, encore aujourd’hui, comptent parmi leurs membres des personnes issues
de l’Assistance Publique.
Cette visite
terminée, il fallait bien trouver un endroit pour se séparer en dégustant les
habituels gâteaux faits maison. Geneviève qui rêvait de revoir le hameau de
Réglois, lieu de ses premiers contacts avec son rôle de monitrice, suggère que
nous nous y rendions pour prendre notre collation. Le GPS de Jean refusant de
nous y conduire, il aurait suffi de ressortir la carte IGN qui nous aurait montré la route à suivre.
Mais il ne vient à personne l’idée de faire appel à ce procédé archaïque d’orientation.
Nous trouvons une placette herbeuse qui fait l’affaire puis nous nous séparons,
heureux d’avoir enrichi nos connaissances sur le patrimoine humain régional.
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