Un jour d'octobre au début du vingtième siècle à une époque où l'on ne parlait pas de réchauffement climatique.
C’était un matin d’octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l’horizon aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus, les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol plané, large et lent d’abord, qui s’accentuait d’un seul coup comme un plongeon d’épervier dès que l’angle de chute devenait moins obtus. L’air était humide et tiède. Des ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait, de temps à autre, quand la gerbe était dévorée en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d’agonie ou un vagissement douloureux.
L’été venait de finir et l’automne naissait.
Il pouvait être huit heures du matin. Le soleil rôdait triste derrière les nues, et de l’angoisse, une angoisse imprécise et vague, pesait sur le village et la campagne.
Les travaux des champs étaient achevés et, un par un ou par petits groupes, depuis deux ou trois semaines, on voyait revenir à l’école les petits bergers à la peau tannée, bronzée de soleil, aux cheveux drus coupés ras à la tondeuse (la même qui servait pour les bœufs, aux pantalons de droguet ou de mouliné rapiécés, surchargés de « pattins » aux genoux et au fond mais propres, aux blouse de grisette neuves, raides, qui, en déteignant, leur faisaient, les premiers jours, les mains noires comme des pattes de crapauds, disaient-ils.
Au sujet de la marche.
Jean-Louis Etienne. Dans mes pas. (2017)
Marcher, c’est parcourir, découvrir, penser, arpenter, fuguer, migrer, manifester, errer. Marcher, c’est être seul, en foule, libre, c’est tendre vers un but. Marcher, c’est le mouvement, le rythme, le souffle, la présence au monde. Marcher, c’est mettre en œuvre nos pieds, nos jambes, notre ventre, notre cervelet, notre corps entier. Marcher, c’est être vivant. C’est tracer son chemin.
Grâce à une exploration attentive, je découvrais la place primordiale qu’occupe cette action fondatrice – mettre un pied devant l’autre - dans le déroulement de nos vies. Enfant, mes premières fugues, mes esquisses d’aventures se sont faites à pied. La marche révélait la capacité d’exercer ma liberté et faisait germer en moi une confiance inconnue. A l’adolescence, les chaussures, le sac à dos, les cartes d’état-major étaient des promesses de voyage et me permettaient d’affirmer avec fierté ma capacité à devenir autonome.
En groupe de randonneurs ou seul, la marche est un indispensable temps à soi. Marcher pour renouer avec le « présent profond », celui qu’on abandonne trop souvent, où se déroule le vrai de notre vie. Marcher dans la nature pour entrer dans un plus vaste silence. Se ressentir vivant et revenir apaisé d’un bonheur calme retrouvé.
Marcher pour l’harmonie entre les hommes, marcher pour manifester son existence au monde, marcher pour entretenir son corps, pour restaurer son bien-être… Nous sommes des êtres qui « allons », des « vivants-marchants ». Chacun fait son chemin.
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